Le Turkménistan et la crise mondiale de l’énergie
Dans une situation énergétique tendue sur le marché mondial, la richesse du Turkménistan en hydrocarbures peut constituer, dans les années qui viennent, un atout important pour minimiser les fluctuations des prix de l’énergie et contribuer à assurer leur stabilité. Par-delà les contrats d’approvisionnement en gaz et pétrole avec la Chine, son principal client, mais aussi la Russie, l’Iran, l’Azerbaïdjan et, par son intermédiaire, certains pays européens, Achgabat vise à potentialiser ses capacités d’exportation, non seulement en matières premières brutes mais aussi en produits à haute valeur ajoutée (voir notre précédent article).
Selon les experts internationaux, la crise énergétique qui dure depuis des semaines – et qui va encore se compliquer avec l’arrivée de l’hiver dans l’hémisphère nord – est le résultat des interruptions de production dans les pays fournisseurs d’énergie, de la reprise de la production postpandémique, de la hausse de la demande, des problèmes techniques et du manque d’investissements dans les infrastructures.
Les prix du gaz naturel et du charbon, qui alimentent les centrales électriques et chauffent les ménages, ont atteint des sommets records. Les prix du pétrole continuent d’augmenter chaque semaine. Les prix du brut américain ont dépassé le seuil de 80 USD le baril pour la première fois depuis novembre 2014. En Chine, les usines de certaines régions sont sujettes à des arrêts de production car elles ne peuvent pas trouver assez d’énergie. En Inde, où le charbon représente près de 70 % de la production d’électricité, les pénuries d’électricité sont principalement dues à l’augmentation des prix mondiaux de la houille, à la flambée des coûts de transport et aux tentatives de réduction de l’empreinte carbone du pays pour atteindre les objectifs climatiques mondiaux.
La pandémie de coronavirus a eu un impact négatif sur les économies des pays fournisseurs d’énergie. Pendant de longs mois, en 2020 et 2021, en raison du ralentissement économique mondial, les pays producteurs ont éprouvé de grandes difficultés à vendre leur pétrole, même à des prix à prix avantageux, ce qui a contribué au manque d’approvisionnement énergétique actuel.
Avec la reprise, le besoin en énergie provoqué par l’augmentation de la production de nombreux pays a provoqué des tensions sur les marchés : l’offre existante s’est révélée insuffisante pour répondre à une demande accrue. Pour expliquer cet état de fait, il est possible de mettre en évidence une série d’événements en cascade.
D’abord, d’importantes sécheresses ont entraîné une diminution de l’énergie produite par les centrales hydroélectriques et éoliennes dans le monde, en particulier en Europe. La diminution de ces sources d’énergie a entraîné le passage à des centrales électriques fonctionnant au gaz naturel et au charbon. Cela a entraîné une augmentation de la demande de charbon et de gaz naturel et a fait grimper leurs prix. Parallèlement, la diminution des réserves stockées de gaz naturel en Europe jusqu’à des niveaux très bas a contribué à la hausse des prix. Et avec l’utilisation du gaz à des fins de chauffage, cet hiver, la hausse devrait se poursuivre.
D’autre part, les sociétés énergétiques, principalement américaines, ont rechigné pendant la pandémie à investir dans de nouveaux projets d’exploration et de forage en raison de la baisse de la demande mondiale en hydrocarbures. Or, il est difficile de rattraper le temps perdu et il faudra de longs mois pour relancer d’anciens projets ou mettre au point des nouveaux.
En revanche, le Turkménistan n’a pas cessé de développer ses richesses naturelles dans le secteur pétrolier et gazier par le forage et la mise en exploitation de nouveaux puits. La diplomatie d’Achgabat défend d’ailleurs depuis des années le principe de la sécurité énergétique à l’échelle mondiale auprès des organismes internationaux et particulièrement les Nations unies. Mais il ne suffit pas d’augmenter le pays volume d’hydrocarbures extrait, il faut encore pouvoir les délivrer sur les marchés mondiaux.
C’est la raison pour laquelle Achgabat a lancé plusieurs projets d’envergure destinés à faciliter l’approvisionnement des marchés mondiaux en produits énergétiques turkmènes. L’exploitation des richesses offshore de la mer Caspienne et notamment du champ Dostlouk, exploité conjointement avec l’Azerbaïdjan, bénéficiera de l’extension de la flotte turkmène en bateaux de transport pour acheminer gaz et pétrole, selon la route déjà existante, jusqu’à Bakou et, de là, vers la mer Noire et les Balkans. Et le lancement de projets d’ouvrages sous-marins à travers la Caspienne, que ce soit le projet Caspian Connector (connexion des réseaux turkmènes et azerbaïdjanais déjà existants) ou celui de gazoduc transcaspien, sont appelés à multiplier les capacités de transit énergétique vers l’ouest.
Le Turkménistan développement également ses capacités d’exportation vers l’est. C’est particulièrement le cas du gazoduc Turkménistan-Chine. En plus de ses lignes existantes A, B et C, la ligne D devrait être terminée de construire dans un proche avenir. La mise en œuvre de ce projet permettra de soulager la demande d’énergie de Pékin : le Turkménistan sera alors en mesure de répondre à environ 35 % des besoins énergétiques de la Chine.
Dans ce cadre, la mise en œuvre dans un futur cependant plus lointain du projet de gazoduc TAPI permettra de répondre à la plupart des besoins énergétiques de l’Afghanistan, du Pakistan et de l’Inde. C’est la raison pour laquelle le Turkménistan essaie d’obtenir du nouveau gouvernement taliban la poursuite de la construction du tronçon afghan du gazoduc et des garanties sur sa sécurité. L’importance de cet ouvrage est d’autant plus grande pour Achgabat que la perspective de son prolongement vers l’Asie du Sud-Est lui ouvrirait de nouveaux marchés.